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Les spécialites de la procédure d'appel

Brève

Écritures en appel : Comment bien les structurer ?

Attention "au réveil douloureux" promis pour les Cours d’appel au mois de septembre ! Les avocats doivent maintenant s’astreindre à un bref exposé des faits et de la procédure, de la discussion juridique, avec le visa au fil du texte des pièces visées en respectant une numérotation chronologique des pièces depuis la première instance.

Il faut impérativement rédiger un plan qui sera énoncé en tête des écritures.

Le but est d’énoncer clairement les points sur lesquels porte la critique du jugement entrepris.

Devant la Cour, l’exposé des moyens doit être objectif, concis, documenté par le visa des pièces.

Un bon exposé des faits permettra des renvois au stade de la discussion pour éviter des redites qu’il fait absolument combattre : les répétitions sont une véritable "plaie" dont se plaignent tous les magistrats.

L’avocat doit aussi garder en tête que l’objectivité et la concision de l’exposé des faits, doublées de la clarté et de la précision de l’exposé des moyens de droit, seront un travail utile pour le magistrat qui aura à rédiger la décision et donc au-delà pour obtenir satisfaction.

I- La présentation générale des écritures en appel.

1- Le rappel très synthétique des faits et de la procédure antérieure.

2- Une critique du jugement frappé d’appel qui doit être précise et motivée : critique de l’appréciation portée par le premier juge sur les faits ou leur preuve et de l’analyse juridique qu’il a retenue.

Cette critique doit être opérée de manière concise, de façon à permettre au juge de cerner immédiatement l’objet de l’appel ou de l’appel incident.

3- L’énoncé numéroté des prétentions et de leur fondement en fait et en droit, chaque prétention devant faire référence aux pièces sur lesquelles elle se fonde, en les numérotant dans les motifs des conclusions au fur et à mesure de leur utilisation.

4- Le « Par ces motifs » des conclusions doit reprendre exclusivement les prétentions des parties dans l’ordre des motifs.

L’article 954 du Code de procédure civile a été modifié pour intégrer ces exigences.
Les pièces numérotées dans les motifs des conclusions sont ensuite transmises au greffe avec les conclusions.

Sont assimilées à des pièces les décisions de jurisprudence invoquées par les parties à l’appui de leur argumentation.

Quant aux cotes de plaidoirie, elles sont supprimées.

Elles restent un outil destiné au seul usage de la « plaidoirie » de l’avocat ; elles ne sont pas être remises à la cour à l’issue des débats oraux, dans la mesure où le juge ne peut fonder sa décision que sur les écritures régulièrement signifiées et déposées, ainsi que sur les pièces visées au bordereau.

Le dossier à remettre à la cour comporte ainsi :
1- les dernières écritures,
2- le bordereau de communication des pièces,
3- les pièces qui y sont visées, y compris la jurisprudence invoquée, à l’exclusion de tout autre document.

L’audience de plaidoiries doit, dans l’esprit d’un procès concentré dès l’origine, rester centrée sur les difficultés soumises à la cour et permettre un dialogue interactif entre les parties et le juge.

II- Dans les écritures en appel, doivent être présentées la critique de la décision entreprise et l’évolution du litige.

L’appel étant une voie d’achèvement du litige, l’évolution de celui-ci commande que l’avocat évoque des pièces et arguments nouveaux si nécessaire.

Pour autant, l’avocat doit s’abstenir de reprendre exactement les mêmes écritures que celles qu’il a développées en première instance.

Sauf rares exceptions, le jugement de première instance a statué sur les prétentions qu’il a émises et les moyens qu’il a articulés à l’appui de celles-ci : il appartient donc à l’avocat d’expliquer à la Cour d’appel en quoi le raisonnement du premier juge est erroné ou pourquoi il n’a pas été fait droit à sa demande ou répondu à un moyen.

Plus généralement, s’agissant des écritures d’appel, on ne peut que rappeler ce qui a été écrit dans le protocole conclu avec la Cour qui constitue le socle des pratiques procédurales de la juridiction.

 "La prétention" est l’affirmation en justice tendant à réclamer quelque chose soit de la part de l’appelant, soit de la part de l’intimé et dont l’ensemble détermine l’objet du litige (cf vocabulaire juridique Gérard Cornu).

La prétention pour l’intimé vise aussi bien les moyens de défense procéduraux (exceptions de procédure et fins de non-recevoir) que les défenses au fond.

Conformément aux dispositions de l’article 954 du Code de Procédure Civile qui différencient les prétentions des moyens (tout en réservant le dispositif des écritures aux prétentions), on entend par prétention le résultat recherché strictement entendu ou de façon plus souple le résultat recherché qualifié juridiquement lequel ne doit pas s’accompagner du moyen de droit ou de fait qui le soutient.

 "Le principe de concentration des moyens" a été posé pour la première fois par l’arrêt "Cesareo" du 7 juillet 2006 de la Cour de Cassation en assemblée plénière.

En application de ce principe, les parties ont l’obligation de soumettre tous les moyens, principaux et subsidiaires qui sont susceptibles de soutenir une prétention donnée.

A défaut, une demande ayant une prétention identique mais fondée sur un autre moyen qui n’a pas été alléguée dans un premier procès, ne peut qu’être déclarée irrecevable.

Une approche plus matérielle du principe "de concentration" postule que chaque partie ne puisse prendre qu’un nombre déterminé de conclusions : un premier jeux pour expliquer la thèse par exemple un second pour répliquer.

L’article 912 du Code de Procédure Civile tend d’ailleurs à un tel objectif en permettant au Conseiller de la mise en état de fixer le nombre de jeux d’écritures des parties.

Cette concentration matérielle inclut la concentration des moyens.

De la même manière le principe de structuration des écritures doit être considéré comme un moyen permettant de s’assurer de la concentration des moyens : le juge doit pouvoir trouver facilement énoncés les moyens de fait et de droit dont il trouvera la conséquence énoncée dans le dispositif des écritures.

L’évolution du litige pourra commander la production de pièces nouvelles, mais aussi l’évocation de moyens nouveaux ou une modification de la qualification juridique de la prétention, dés lors que la fin qui est poursuivie est identique.

Autrement dit, la critique du jugement est une chose, mais les parties restent libres de faire évoluer leur argumentation et il appartient à l’avocat de tenir compte de ce double rôle qu’il a de critique de la décision entreprise et d’acteur de l’évolution du litige.

III- Dans les écritures en appel doivent présenter chaque prétention s’appuyant sur ou plusieurs moyens à l’appui des pièces ou de précédents jurisprudentiels.

La discussion doit présenter les prétentions et chaque prétention s’appuyer sur un ou plusieurs moyens principaux ou subsidiaires, à l’appui des pièces ou de précédents jurisprudentiels.

Au stade la discussion, il est indispensable à l’avocat de respecter l’ordre de présentation des exceptions de procédure, des fins de non-recevoir et des moyens relevant de la défense au fond.

Dans la mesure où il ressort de la jurisprudence que le juge n’a pas l’obligation de requalifier les faits ou de modifier le fondement juridique de la prétention, sauf à rouvrir les débats on invitera l’avocat à être particulièrement précis, là encore, dans le choix des moyens qu’il aura à opérer.

Dés lors que les conclusions sont un peu abondantes, il est important de résumer (soit au début de l’exposé d’un moyen par un chapeau, soit à la fin de l’exposé d’un moyen un peu long) le moyen soulevé.

Il peut être aussi intéressant de numéroter les moyens pour faciliter au juge sa lecture et lui éviter d’en oublier, en fin de lecture.

Enfin, s’agissant des conclusions "récapitulatives", rappelons qu’un effort de synthèse est nécessaire, des conclusions "récapitulatives" n’étant pas des conclusions "cumulatives" comme elles le sont trop souvent.

Une bonne connaissance de l’article 954 du Code de Procédure Civile, en l’état des calendriers de procédure extrêmement longs (la clôture est rarement envisagée à moins d’un an après les conclusions de l’appelant) devrait aussi permettre aux avocats de distinguer leurs conclusions "intermédiaires" (qui peuvent ne porter que sur un point de la procédure ou de la discussion) des "dernières écritures" par lesquelles ils prendront quelque temps avant la clôture leurs "prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions "antérieures".

D’un point de vue pratique, le principe de loyauté qui est l’un des piliers de la déontologie des avocats doit inciter à marquer d’un trait en marge des ajouts ou modifications de ses écritures pour en faciliter la lecture à son contradicteur et au juge.

IV- Les références jurisprudentielles doivent être limitées.

Les références jurisprudentielles doivent être limitées à de courtes citations avec renvoi en bas de page des références des jurisprudences publiées et production aux débats des jurisprudences inédites.

Il faut impérativement bannir en tout état de cause les citations trop logue de la jurisprudence que le magistrat peut consulter.

V- Le dispositif doit recevoir un traitement tout particulier.

Il n’est pas un résumé des tous les moyens qui ont été exposés, mais le simple énoncé des prétentions.

Les "donner acte, constater" et autres formules de ce type doivent être prohibées.

Enfin et surabondamment, on rappellera à l’avocat quelques moyens simples d’alléger les écritures comme l’usage parfois parcimonieux des adverbes, la construction de phrases simples et courtes (un sujet, un verbe, un complément), le caractère superflu de certaines mise en cause ironiques de la partie adverse généralement suivie d’un ou plusieurs points d’exclamation, la totale inutilité de demander la condamnation à une amende civile dont l’initiative n’appartient qu’à la juridiction, l’importance à vérifier si l’exécution provisoire est possible ou parfois si elle n’est pas tout simplement de droit, de demander la restitution de sommes auxquelles une partie a pu être condamnée en première instance alors que l’infirmation de la décision par la Cour d’appel aura cet effet automatique.

Là encore, il s’agit d’alléger des écritures inutilement alourdies par de telles considérations.

La question 1 :
La partie appelante se doit elle de préciser dans le dispositif de ses conclusions qu’elle demande l’annulation ou l’infirmation du jugement ?

Dans un arrêt du 17 septembre 2020, la Cour de Cassation a répondu à cette question positivement (Cass. 2e 17 Sept 2020, n° 18-23.626).

Elle rappelle que :
"la partie appelante doit préciser dans le dispositif de ses conclusions qu’elle demande l’annulation ou l’infirmation du jugement. Il résulte des articles 542 et 954 du Code de Procédure Civile, que lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation des chefs du dispositif du jugement, ni l’annulation du jugement, la Cour d’Appel ne peut que confirmer le jugement".

C’est à bon droit que la cour de Cassation a statué sur le moyen dont elle était saisie.
Mais tempérant la portée de cette nouvelle obligation procédurale pour les procédures en cours, la Cour de Cassation a décidé de n’appliquer cette nouvelle obligation que pour les appels formés à compter du 17 septembre 2020.

La sanction quant à l’appelant principal est connue : la Cour d’Appel confirme le jugement. C’est l’appel non soutenu.

Aucun doute n’existait jusqu’alors quant à la sanction applicable : « La Cour ne peut que confirmer ».

C’était sans compter sur une évolution jurisprudentielle.

En effet, la Cour de Cassation ouvre une option à la partie, mais également au Conseiller de la mise en état et à la Cour d’appel qui pourront même s’en emparer d’office.

Et cela est nouveau ou presque (Civ.2ème 30 septembre 2021, n°20-15.674 NP).

Dans un arrêt du 4 novembre 2021, la deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation offre désormais la faculté de relever d’office la caducité de l’appel.

Cette faculté est largement ouverte et l’appelant aura toutes les peines du monde à passer entre les mailles du filet tendu par la Cour de Cassation.

En effet, non seulement cette caducité pourra être relevée par l’intimée, mais le Conseiller pourra se saisir d’office de cette caducité.

Et sur déféré, La Cour d’appel pourra évidemment prononcer cette caducité.

Et nul doute qu’il se trouvera des Conseillers de la mise en état pour qui ce sera l’occasion d’évacuer un stock souvent important.

La question 2 :
La partie appelante incidente se doit elle aussi de préciser dans le dispositif de ses conclusions qu’elle demande l’annulation ou l’infirmation du jugement ?

Dans un arrêt du 1er juillet 2021, la Cour de Cassation a répondu à cette question positivement (Cass. 2e 1er Juillet 2021, F-B, n° 20-10.694).

C’est à bon droit que la cour de Cassation a statué sur le moyen dont elle était saisie.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets.

Après avoir repris l’attendu de principe de l’arrêt du 17 septembre 2020, elle rappelle que : "l’appel incident n’est pas différent de l’appel principal par sa nature ou son objet, de sorte que les conclusions de l’appelant principal ou de l’appelant incident doivent déterminer l’objet du litige porté devant la Cour d’Appel et comporter en conséquence dans le dispositif une demande d’infirmation ou de réformation du jugement attaqué".

Il en résulte en conséquence de cet arrêt que pour les appels formés à compter du 17 septembre 2020, toute partie qui poursuit l’annulation ou l’infirmation du jugement devra impérativement le préciser dans le dispositif de ses conclusions, sous peine d’être sanctionné.

S’il est relativement peu courant qu’un appelant néglige de demander l’infirmation dans le dispositif de ses conclusions. Il est en revanche, plus courant qu’un intimé appelant incident fasse l’impasse d’une demande de réformation dans ses conclusions.

La sanction pour l’appelant incident n’est pas limpide.
Dés lors, la Cour de Cassation nous dit que l’appel incident n’est pas différent de l’appel principal, il faudrait considérer que la sanction serait identique, à savoir que la Cour d’Appel ne peut que confirmer du chef de l’appel incident.

Plutôt que de parler de confirmation du jugement, il serait probablement plus opportun de retenir que les conclusions ne contiennent aucun appel incident.
La Cour d’appel ne serait pas saisie de cet appel incident sur lequel elle ne statuera donc pas.

L’autre option serait d’aller sur le terrain de l’irrecevabilité.

L’irrecevabilité de l’appel incident serait encouru en application des articles 909 du Code de procédure Civile.

L’irrecevabilité des prétentions formées après le délai pour conclure serait encourue en application de l’article 910-4 du Code de Procédure Civile.

Il parait donc nécessaire que la Cour de Cassation précise la sanction quant à l’appelant incident.

La question 3 :
La Cour d’Appel a-t-elle la possibilité de relever d’office la caducité de la déclaration d’appel ou l’irrecevabilité des conclusions si les parties et le Conseiller de la mise en état ne s’en étaient précédemment emparés ?

La réponse :
Dans un arrêt du 9 septembre 2021, la Cour de cassation a répondu à cette question négativement (Cass. 2e 9 septembre 2021, F-B, n° 20-17.263).

Elle indique que :

« Il résulte de la combinaison des articles 908 et 954 du Code de Procédure Civile que la caducité de la déclaration d’appel est encourue lorsque l’appelant n’a pas fait figurer ses prétentions dans le dispositif de ses conclusions dans le délai de trois mois de la remise de ses écritures ».

Afin que les choses soient claires, la Cour de cassation rappelle que cette règle ne résulte pas de l’interprétation nouvelle faite par la Cour de cassation dans un arrêt du 17 septembre 2020 imposant que l’appelant demande dans le dispositif de ses conclusions, l’infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l’anéantissement ou l’annulation du jugement.

Dans un exercice de contorsionnisme juridique, la Cour de Cassation contourne à l’évidence ses propres arrêts des 17 septembre 2020, 20 mai 2021 et 1er juillet 2021 qui apparaissent comme un frein.

Où s’arrêtera le pouvoir du Conseiller de la mise en état ?

La question 4 :
La partie en appel a-t-elle l’obligation d’indiquer dans le dispositif de ses conclusions qu’elle sollicite le rejet des prétentions de l’adversaire ?

La réponse :
Dans un arrêt du 9 septembre 2021, la Cour de cassation a répondu à cette question positivement [1].

Elle indique que :

« Il résulte de la combinaison des articles 563 et 564 et 954 du Code de Procédure Civile que la partie qui en appel sollicite le rejet de la prétention de son adversaire élève lui-même une prétention pour en déduire qu’elle avait l’obligation de l’indiquer dans le dispositif de ses conclusions ».

La Cour d’Appel n’est donc saisie d’aucune prétention lorsque l’appelant ne sollicite pas dans le dispositif de ses conclusions le rejet des prétentions de son adversaire auxquelles avait fait droit le premier juge.

La question 5 :
Celui qui se borne en première instance à soulever la péremption de l’instance peut-il solliciter le rejet au fond des prétentions de son adversaire pour la première fois en appel et invoquer à cette fin tout moyen utile ?

La réponse :
Dans un arrêt du 9 septembre 2021, la Cour de cassation a répondu à cette question positivement [2].

Elle indique que :

« la partie n’ayant pas sollicité en première instance le rejet des prétentions de son adversaire ne peut aucunement avancer de nouveaux moyens au soutien de cette prétention en appel ».

Afin que les choses soient claires, la Cour de cassation rappelle la combinaison des articles 563 et 564 du Code de Procédure Civile.

« Dès lors que c’est uniquement pour justifier en appel les prétentions soumises au premier juge une partie peut invoquer de nouveaux moyens, mais elle ne peut soulever aucun moyen destiné au rejet de la demande de son adversaire si elle n’a pas déjà sollicité ce rejet en première instance ».

Notes.

Décret n°2017-891 du 6 mai 2017.
Cass. 2e civ., 17 sept. 2020, no18-23.626.
Civ. 2ème 1er juillet 2021, F-B, n°20-10.694.
Civ. 2ème 9 septembre 2021, F-B, n°20-17.263.
Article 542 du CPC.
Article 954 du CPC.
Civ. 2ème 9 septembre 2021, F-B, n°20-17.435.
Cass. 2e 4 novembre 2021, F-B, n° 20-15.757.