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Brève

L'impact des nouvelles règles relatives à l'exécution provisoire des décisions de justice

A propos de la deuxième vague de décrets d’application de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice est arrivée. Tout ce que vous voulez savoir sur l’exécution provisoire sans oser le demander.... Je me suis entretenu avec Sophie Dufourgburg, Avocat à la Cour d’appel d’Angers, ancien Avoué. L’objectif est d’une part d’informer sur ce qui change et d’autre part, d’alerter sur ce qui paraît frappant.

Benoit Henry : Qu’est-ce qui change pour l’exécution provisoire ?

Sophie Dufourgburg : Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 consacre son Article 3 à « L’instauration du principe de l’exécution provisoire de droit ».

L’appel et l’opposition ne sont plus des recours suspensifs [1].

L’exécution provisoire de droit devient le principe.

C’est un nouveau logiciel !

En effet, avant ce décret, l’exécution provisoire de droit ne concernait que quelques décisions : celles qui prescrivent des mesures provisoires pour le cours de l’instance, celles qui ordonnent des mesures conservatoires, ainsi que les ordonnances du juge de la mise en état qui accordent une provision au créancier et les ordonnances de référé.

Le principe de l’exécution de droit des décisions de première instance avait déjà été posé, notamment en matière de droit social et de procédure collective.

Ces textes ne sont pas modifiés par le décret du 11 décembre 2019.

La nouveauté est la généralisation de l’exécution provisoire.

Le principe est posé par l’Article 514 du code procédure civile.

Il dispose :
« Les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement ».

Aucune décision ne saurait donc échapper à l’exécution provisoire de droit. Il n’est en effet opéré aucune distinction. Sont concernées par cette disposition toutes les décisions rendues par le juge de première instance, qu’elles concernent la procédure ou le fond, qu’elles soient provisoires ou définitives.

Les décisions rendues par les tribunaux de commerce bénéficieront également de l’exécution provisoire de droit.

Autrement dit, un jugement ou une ordonnance statuant sur la compétence ou une ordonnance statuant sur une exception de nullité ou sur une fin de non-recevoir [2] est exécutoire de droit à titre provisoire.

A tout principe, il y a des exceptions.

Les exceptions au principe de l’exécution provisoire :

Sauf si la loi en dispose autrement.
- Jugement statuant sur la nationalité [3] ;
- Décisions rendues en matière d’état civil -rectification ou annulation- peu importe que la - Décisions statuant sur le changement de prénom [4] ;
- Décisions statuant sur la mention du sexe à l’état civil [5] ;
- Décisions statuant sur l’absence [6] ;
- Décisions du juge aux affaires familiales mettant fin à l’instance [7] ;
- Décisions relatives à la filiation et aux subsides [8] ;
- Décisions statuant sur l’adoption [9] ou la révocation de l’adoption [10].

S’y ajoutent les jugements prononçant la séparation de corps ou le divorce dont l’appel reste suspensif.

Si le juge le juge en décide autrement.

Benoit Henry : Que peut faire le défendeur devant la juridiction de première instance ?

Sophie Dufourgburg : Il doit demander dès la première instance que l’exécution provisoire soit écartée, à défaut de quoi toute demande d’arrêt devant le premier président de la Cour d’appel saisi d’un appel sera irrecevable.

Le juge de première instance peut même d’office écarter tout ou partie de l’exécution provisoire de droit, s’il l’estime incompatible avec la nature de l’affaire. Sa décision doit être motivée.

Mais le juge ne peut écarter l’exécution provisoire de droit lorsqu’il statue en référé, qu’il prescrit des mesures provisoires pour le cours de l’instance, qu’il ordonne des mesures conservatoires, ainsi que lorsqu’il accorde une provision au créancier en qualité de juge de la mise en état [11].

Benoit Henry : A-t-il un recours en cas d’appel ?

Sophie Dufourgburg : En cas d’appel, pour s’opposer à l’exécution provisoire de droit, le premier président peut être saisi.

Le requérant devra apporter une double preuve :
- Qu’il existe des moyens sérieux d’annulation ou de réformation.

La notion retenue est déjà connue en matière d’appel des décisions du juge de l’exécution ou de l’appel de certains jugements en matière de procédure collective.

- Que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives.

Ces deux conditions sont cumulatives [12].

En outre, le texte limite la possibilité d’une telle demande lorsque le requérant a comparu en première instance et n’a fait valoir aucune observation sur l’exécution provisoire. La demande ne sera alors recevable que si l’exécution provisoire risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance.

Benoit Henry : L’exécution provisoire peut-elle être aménagée ?

Sophie Dufourgburg : Le juge peut, à la demande des parties ou d’office, subordonner sa décision de rejet de la demande tendant à voir écarter ou arrêter l’exécution provisoire de droit à la constitution d’une garantie réelle ou personnelle suffisante pour répondre de toutes les restitutions ou réparations [13].

Le régime de ces garanties n’a pas été modifié.

Il en va de même de la consignation permettant à une partie condamnée d’éviter que soit poursuivie l’exécution provisoire de la décision.

Benoit Henry : L’exécution provisoire peut-elle être rétablie ?

Sophie Dufourgburg : Si l’exécution provisoire de droit a été écartée par le premier juge ou arrêtée par le premier président, ce dernier ou le conseiller de la mise en état, dès lors qu’il est saisi, peut la rétablir à la triple condition : l’urgence, la compatibilité avec la nature de l’affaire et l’absence de risque manifestement excessif.

Benoit Henry : L’inexécution de la décision assortie de l’exécution provisoire peut-elle bloquer la procédure d’appel ?

Sophie Dufourgburg : Le régime de la radiation pour défaut d’exécution ou de consignation n’a pas été modifié.

La décision de radiation interdit l’examen des appels principaux, incidents ou provoqués.

Notes de l'article :
[1] CPC 536-1.
[2] CPC 789.
[3] CPC 1045.
[4] CPC 1055-3.
[5] CPC 1055-10.
[6] CPC 1067-1.
[7] CPC 1074-1 alinéa 1.
[8] CPC 1149.
[9] CPC 1178-1.
[10] CPC 1178-1.
[11] CPC 514-1 alinéa 3.
[12] CPC 514-3.
[13] CPC 514-5.